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5 novembre 2019TROIS FEMMES – Une impulsion
2 juin 2020Il y avait quelques temps que Claudine Jacques ne nous avait pas donné de ses « nouvelles ». Voici un oubli réparé avec ce précieux recueil Caledonia Blues publié par les éditions Au Vent des Îles. Notes bleues et diamants noirs…
Grâce à un style reconnaissable entre mille, l’écrivaine sait faire parler les gens simples avec leurs mots de tous les jours, nous faire entrer dans leurs faces obscures, sait aussi nous faire adhérer sans problème aux croyances et superstitions rurales tant l’identification à ses personnages est tangible. Elle n’a pas son pareil pour ciseler un paysage en quelques mots et adjectifs choisis. Et les images nettes affluent, on voit tout, les personnages se mettent en place par petites touches, arrivant côté jardin comme il se doit en brousse. La forme concise lui sied et, après lecture exhaustive du recueil, on entrevoit la mine de courts-métrages que l’on pourrait y exploiter. Odile Dufant, remerciée comme lectrice en fin d’ouvrage, aurait assurément matière à illustrer ces histoires sombres en tant que réalisatrice. Dans ces dix-sept pépites, on respire son refuge de brousse à Bouraké, ses odeurs de sécheresse ou de pluie, ses fragrances végétales et ses fleurs du mal car, c’est bien connu, les histoires de gens heureux n’intéressent personne.
Femmes et infâmes
Ce blues n’est pas blanc bleu, il a une teinte outremer, un bleu plus profond, plus noir que celui de l’azur rassurant… Claudine Jacques nous fait entendre sa petite musique souvent grave comme un vieux blues, douloureuse et jazzy comme le film de Martin Ritt en 1961. Ici, ce n’est plus Paris Blues mais Boulou…paris blues. MeToo est passé depuis longtemps en Calédonie grâce à sa plume et ce depuis ses premiers écrits. On trouvera dans ce recueil, sans temps mort, une galerie de portraits féminins – Alexia, Apollina, Carline, Évangéline, Irma et les autres – que l’on n’est pas près d’oublier. Toutes ces mères qui n’ont pas vu la vie en rose, ces veuves inconsolées ou au pardon facile, ces femmes trahies, abandonnées, exploitées, battues, violées, sortent néanmoins la tête haute, parfois aidées par la jeune génération qui n’endurera peut-être pas autant d’ignominies…
Café fumant au petit matin, montagnes qui bleuissent au soir, chiens fidèles en quête de rares caresses, bétail égaré sur les vastes propriétés, 4×4 au travail loin des parades sur les baies nouméennes, boucan rusé qui fait frémir, parsèment ces tranches de vie glanées dans les collines, les stations, les squats ou les quartiers de la grande ville. Malgré les lieux paradisiaques souvent évoqués, c’est plutôt d’enfer qu’il s’agit et cet enfer, c’est les autres, souvent des hommes. Abusant d’alcool, de violences, d’une sexualité brutale imposée, les hommes, infâmes pour la plupart, ne sont manifestement pas montrés sous leur meilleur jour. Cependant, quelques jeunes gens relèvent un peu le niveau alors que d’autres risquent de tristement imiter leurs aînés. Si quelques très courtes fictions, plus légères, nous feront quand même sourire, l’auteure, tel un rapace sur notre épaule, nous prend dans ses lignes acérées pour ne plus nous lâcher avant la dernière phrase. Une chute qui va nous libérer et vers qui nos yeux de lecteurs se dirigent à vive allure. Un nouveau livre qui, comme les précédents, devrait faire du bruit, voire du boucan, dans la – hélas – trop petite jauge littéraire calédonienne. La dame de Bouraké a encore frappé… sur son clavier, vous nous en donnerez des nouvelles. Belle lecture !
Une chronique rédigée par Rolross – 23 mai 2020